L’Asie centrale fait rarement la Une des journaux. Pourtant, les cinq pays de la région – Kazakhstan, Kyrgyzstan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan (également appelés le C5) – sont en passe de devenir des interlocuteurs privilégiés pour de plusieurs acteurs majeurs, entre l’Asie, la Russie et l’Union européenne, et ce, sur de nombreux sujets. Pour preuve, en juin dernier, les pays du C5 avaient accueilli le 2e sommet Union européenne – Pays d’Asie centrale, en présence du président du Conseil de l’Europe, Charles Michel. L’occasion pour ces pays de bâtir des ponts avec l’Europe, tant sur le plan diplomatique qu’économique et commercial. Cette fois, c’est à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU que l’Asie centrale a fait parler d’elle : dans son allocution, le président kazakh Kassym-Jomart Tokayev a fait le tour des grands défis de la décennie en cours et a rappelé le rôle positif que son pays souhaite jouer dans le concert des nations.
Affronter les menaces du monde moderne
Et il y a du travail, tant les sources de tension sont critiques : de l’Ukraine au Haut-Karabakh en passant par Taiwan ou le Cachemire pour ne citer que ceux-ci, certains conflits de forte ou de basse intensité continuent d’animer les débats aux Nations unies. Le droit international – garanti par la charte de l’ONU – est encore trop souvent ignoré et devrait être replacé au centre des processus de règlement des conflits. « L’essence de la menace vient de l’érosion simultanée des principes fondamentaux du droit international consacrés dans la Charte des Nations unies, a diagnostiqué le président Tokayev à la tribune. La tendance au non-respect, à la suspension et au retrait des principaux instruments juridiques internationaux est extrêmement préoccupante, car elle pourrait conduire à un point de non-retour. Cette situation perturbe le système commercial, affaiblit les chaînes d’approvisionnement qui animent la vie économique, porte atteinte à la sécurité alimentaire et accélère l’inflation. »
Selon le chef d’État kazakh, seul le dialogue – bilatéral ou dans le cadre de l’ONU – est à même de faire baisser la pression. « Malgré tous les efforts déployés, des conflits persistent dans de nombreuses régions du monde, a-t-il poursuivi. Nous exhortons toutes les parties à rechercher des solutions diplomatiques aux conflits, fondées sur la Charte des Nations unies et le droit international universellement reconnu. La diplomatie et le dialogue doivent toujours prévaloir dans la recherche du règlement des différends internationaux. » Il a par ailleurs réaffirmé l’attachement de son pays en faveur du désarmement nucléaire, dans le cadre du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, ainsi que la place du dialogue interreligieux face aux tensions existantes dans certains pays d’Asie ou d’Afrique. Des sujets également abordés à New York le 20 septembre, entre autres lors du sommet du C5+1, réunissant les présidents des 5 pays d’Asie centrale et le président américain Joe Biden.
Accentuer le poids des puissances moyennes
Désormais, le monde s’est recomposé entre grandes puissances et puissances moyennes. Parmi les premières, les États-Unis limitent de plus en plus leur interventionnisme tandis que la Chine compte asseoir son nouveau statut de faiseur de paix, comme nous l’avons vu avec les tractations menées par Pékin pour rapprocher l’Iran et l’Arabie saoudite. Parmi les secondes, des pays comme le Kazakhstan réclament leur voix au chapitre, à la fois dans les processus régionaux et dans les grandes décisions prises par le Conseil de sécurité de l’ONU. « Je suis fermement convaincu que les voix des puissances moyennes et de tous les pays en développement au Conseil doivent être amplifiées et clairement entendues, a revendiqué Kassym-Jomart Tokayev. Puisque le Conseil de sécurité semble incapable de sortir de l’impasse, il devrait devenir plus représentatif afin que d’autres pays – dont le Kazakhstan – puissent jouer un rôle plus important dans le maintien de la paix et de la sécurité. » Dont acte.
Incisif sur ce point, le président kazakh a par exemple rappelé le pôle de stabilisation que représente l’Asie centrale dans le dialogue Nord-Sud avec, par exemple, sa participation à la Conference on Interaction and Confidence Building Measures in Asia (CICA) en juillet dernier. Tokayev a également rappelé son implication en tant que président de l’Organisation de coopération de Shanghai, au sein de laquelle il a présenté l’Initiative d’unité mondiale pour une paix et une harmonie justes à laquelle il a invité ses homologues des cinq continent afin de mettre en place « un nouveau paradigme de sécurité, un environnement économique équitable et une planète propre ».
Lutter contre le dérèglement climatique et renforcer la sécurité alimentaire mondiale
Cette « planète propre » ne passera par ailleurs que par les efforts redoublés de la communauté internationale en faveur du climat, afin de coller aux objectifs des Accords de Paris. Malheureusement, l’Asie centrale subit déjà les répercussions du réchauffement, avec des épisodes intenses de sécheresse et l’élévation des températures moyennes deux fois plus forte que dans le reste du monde, selon une étude du Fonds monétaire international (FMI). L’accès et la gestion de l’eau sont au cœur des enjeux, avec par exemple la quasi disparition de la mer d’Aral et les menaces qui planent sur la mer Caspienne. Face à ces défis, le Kazakhstan accueillera en 2026 un sommet régional sous l’égide de l’ONU, et participe déjà avec les autres pays de la région à différents programmes de développement des énergies vertes.
Comme partout ailleurs, les aléas climatiques mettent en péril l’agriculture et les récoltes. Parmi les conséquences évoquées à la tribune de l’assemblée générale, Kassym-Jomart Tokayev a mis en exergue les menaces sur la sécurité alimentaire mondiale. Suite à la pandémie de Covid-19 et à la guerre en Ukraine, les chaînes d’approvisionnement ont subi de fortes perturbations, faisant craindre – comme dans le monde arabe – des émeutes de la faim. « Nous devons réfléchir à un meilleur système mondial de sécurité alimentaire, a suggéré le président kazakh. Près de 10% de la population mondiale a été confrontée à la faim l’année dernière. Nous devons permettre un suivi transparent des financements de la communauté internationale en réponse aux crises alimentaires. Le Kazakhstan est prêt à jouer le rôle de plaque tournante régionale de l’approvisionnement alimentaire. » L’Asie centrale veut faire parler sa géographie et se propose aujourd’hui comme plaque tournante entre Est et Ouest, Nord et Sud.
C’est évident, le Kazakhstan a choisi de passer à l’offensive – diplomatique parlant – pour mettre en avant ses atouts et sa volonté d’action, avec ses partenaires du C5. Rendez-vous maintenant en septembre 2024 lors du Sommet sur l’avenir au cours duquel le Kazakhstan espère avoir son mot à dire dans le « Pacte pour l’avenir » que la communauté internationale mettra sur la table.