Dans ce premier tome de ses Chroniques du Nouveau-Monde, Joffrey Lebourg nous raconte les premières aventures de Salamandre, une jeune Celte, vers 2050, alors que 90 % de la population humaine vient d’être annihilée par les Dieux. Dans ce roman, l’auteur fait voyager une jeune femme, rousse, archère de talent, qui nous fait beaucoup penser à Rebelle, le personnage de Disney, sur toute la surface du globe, au sein de cinq des dix empires nouvellement formés par les Dieux.
Un roman aux frontières de l’anticipation
Le récit débute comme cela : l’humanité a échoué et les écosystèmes n’ont cessé de se dégrader, donc face à cet échec du « Plan S » pour « sauvegarde de l’environnement » des années 2000, les Dieux ont éradiqué 90 % des êtres humains pour remettre la nature au centre du monde. De nouvelles créatures ont aussi émergé : des elfes, des nains, des lutins, des sirènes, mais aussi des créatures magiques qui peuplent tout l’univers romanesque, comme des dragons ou des monstres effrayants. Salamandre vit dans l’Empire Celtique, territoire qui regroupe la plus grande partie de la France, de l’Espagne, du Portugal et du Royaume-Uni. Elle est une « élue », elle peut voir l’Ancien Monde, avant son éradication, dans ses rêves, et elle peut dialoguer avec les Gardiens et les Dieux. C’est alors qu’elle va se voir confier une mission pour marquer son entrée dans l’adolescence.
L’odyssée de Salamandre
Cette quête va lancer sa grande odyssée tel Ulysse dans L’Odyssée d’Homère : elle va voyager de la France vers les anciens États-Unis, puis en Amérique du Sud, en Asie et en Afrique du Sud. Elle va rencontrer des amis, des compagnons de route, mais aussi des objets magiques, comme une cape d’invisibilité (qui n’est pas sans rappeler celle d’Harry Potter), des dragons, des talismans, des créatures magiques mais aussi des magiciens ou des samouraïs. L’univers fantastique et merveilleux de L’Odyssée de Salamandre nous plonge dans un monde de magie : des sorciers et des sorcières se battent, parfois en utilisant de la magie noire, face à de simples humains souvent dépourvus de moyens de défense (qui là encore rappellent les célèbres Moldus de l’univers de J.K. Rowling).
Joffrey Lebourg, une plume soucieuse du détail
Face à toute cette magie, Joffrey Lebourg déploie un univers réaliste. Il ne cesse de faire des parallèles entre les ancien et nouveau mondes, pour montrer les bouleversements et les basculements subis par les sociétés humaines et non-humaines. L’auteur décrit des sociétés, des traditions, des coutumes, sur tous les continents, comme en Asie ou en Amérique. Ce roman a donc presque une dimension encyclopédique : tel Balzac il décrit les mets que certains groupes sociaux peuvent manger (des manjus, des angos, des onigiris, des sakuramochis pour les Asiatiques par exemple), la décoration utilisée, les mœurs et modes de vie (notamment celui de l’onsen japonais). C’est aussi un formidable bréviaire sur les langues mondiales où on apprend que le kotatsu désigne la table ou le zabuton les coussins, et cela se fait longuement durant tout le texte. Cette dimension pédagogique attribue à ce roman une perspective utilitaire, didactique. Il y a aussi beaucoup de développements autour de la géographie, du climat, de la biodiversité, des faunes et des flores sur tous les continents.
Les ingrédients du fantastique réunis
L’écriture de Joffrey Lebourg est par ailleurs intéressante. Elle s’adapte parfaitement au genre qu’il déploie ici, celui du fantastique et du merveilleux, mais aussi à l’épique. Il manie les temps verbaux parfaitement et arrive à jouer sur les rythmes. La narration oscille donc entre des moments haletants, poignants, et des moments plus calmes, davantage aptes à livrer des réflexions sur nos sociétés. Les descriptions sont aussi fabuleusement écrites : « Le Temple était constitué d’une unique pièce. Le long des parois s’alignaient d’autres statues de lion, à taille réelle cette fois, dans différentes positions : dressés comme dehors, rengorgés, ramassés pour se préparer à bondir, marchant avec nonchalance, rugissant à pleine gueule, paresseusement allongés… ». Le jeu sur les rythmes, sur les sons, entre allitérations et assonances, doublé de la personnification de ces statues de lion permet de donner une réelle dimension littéraire et stylistique à la plume de Joffrey Lebourg.
Plus que de la fantasy, une véritable réflexion !
L’odyssée de Salamandre est un véritable roman d’apprentissage comme l’ont fait de nombreux auteurs français du XIXe siècle, mais ici cela s’accorde aux genres fantastiques et merveilleux. C’est un récit de la transformation, de l’éveil, du changement, réelle métaphore du passage de l’enfance, de l’adolescence à l’âge adulte, comme le décrivait Kafka dans La Métamorphose. On est donc face à un roman plateforme, au croisement de toute une culture littéraire riche et qui permet de renouveler de nombreuses thématiques.
C’est un roman prenant, captivant qui fait des Humains une communauté qui devrait davantage s’épancher sur la solidarité, la générosité, la fraternité, la sororité, pour former une société mondiale qui serait à l’unisson, qui s’accorderait pour former un orchestre géant.