Annoncée début mai, l’opération « Plus jamais seul dans ma voiture » mettra 1000 automobilistes franciliens au défi du covoiturage, pendant un an. Une manière de rendre ludique – et instructive – une pratique au cœur des stratégies liées à l’éco-mobilité. Mais où en est exactement le covoiturage en France ?
Ils seront mille, à partir de septembre prochain, à jouer le jeu du covoiturage pendant l’opération « Plus jamais seul dans ma voiture ». L’objectif assigné à ces Franciliens volontaires (mais dédommagés) : laisser leur voiture au parking et utiliser les transports collectifs, sauf en cas de covoiturage. Leurs comportements seront évalués par des experts tout au long de l’année dans le cadre du projet Mobilité360 – dont la vocation première est de promouvoir la mobilité électrique – en partenariat avec la RATP, BlaBlaCar, Mobilize et Uber. L’appel à candidature sera lancé en août prochain, avis aux futurs cobayes.
L’autoroute, futur de l’éco-mobilité
Symboles jusqu’à présent du « tout-voiture », les autoroutes françaises ont entamé leur mutation il y a une dizaine d’années, avec une accélération notoire depuis 2017. La course est lancée entre les différents opérateurs et les pouvoirs publics pour promouvoir – et mettre en place les infrastructures adéquates – l’éco-mobilité, qu’elle soit électrique ou partagée. « À 1,1 automobiliste par voiture en moyenne, l’autoroute est vide, en réalité ! s’étonne Stéphane Baudet, Vice-président de la région Ile-de-France en charge des Transports. C’est en leur offrant de la vitesse que nous encouragerons les automobilistes à mieux remplir leur véhicule ou à le délaisser pour le bus. » Mais pour que les automobilistes fassent le choix de l’autopartage, la priorité est de mettre à leur disposition des espaces dédiés. Et pour cela, les SCA (sociétés concessionnaires d’autoroutes) sont en première ligne.
Les projets se multiplient, partout en France. En Normandie, la communauté urbaine Caen-la-Mer va ouvrir deux nouvelles aires de covoiturage dans le Calvados, à Troarn sur l’A13 et Verson sur l’A84. Deux projets portés par Nicolas Joyau, vice-président de Caen-la-Mer en charge des mobilités, afin « d’encourager les modes de déplacement plus respectueux de l’environnement et inciter à cette pratique ». À Magnant sur l’A5 dans l’Aube, une nouvelle gare de covoiturage vient d’être annoncée par l’opérateur APRR et sera développée par les services départementaux. À Gallargues-le-Montueux sur l’A9 dans l’Hérault, une autre SCA – VINCI Autoroutes – vient d’inaugurer son 37e parking dédié au covoiturage en janvier dernier, et met les bouchées doubles avec un plan d’investissement destiné à multiplier par quatre en quatre ans le nombre de places de parkings, partout sur le territoire.
Plus à l’est, en PACA, le même opérateur applique la même stratégie. Selon Blaise Rapior, directeur général d’Escota du groupe VINCI qui gère le réseau en Côte d’Azur, « l’enjeu du XXIe siècle est celui de la décarbonation. Un tiers des émissions de CO2 provient de l’industrie, un tiers du logement et un tiers de la mobilité. Il faut réaliser (…) qu’en France, 85% des déplacements se font par la route ». Les réponses à ces enjeux sont multiples : développement tous azimuts de l’électrique et changement des usages. « Le covoiturage est un outil pour abaisser le coût des mobilités » poursuit Blaise Rapior. Reste encore à déterminer un modèle économique qui permettra au covoiturage de s’ancrer dans les comportements notamment pour les courtes distances.
Le développement du covoiturage par les infrastructures passe aussi par les voies de circulation réservées sur les autoroutes, marquées d’un grand losange vertical sur les panneaux de signalisation routière. Dans le Rhône, l’opérateur Autoroutes du Sud de la France (ASF) vient de consacrer plusieurs kilomètres de l’autoroute A7 autour de Lyon à une file spécifique au covoiturage. Même chose sur l’autoroute A48 dans le sens Lyon-Grenoble où une expérimentation a lieu depuis octobre dernier, et a donné satisfaction à l’opérateur AREA. Dans un cas comme dans l’autre, la règle est simple : ont l’autorisation d’emprunter cette voie les véhicules ayant au moins deux occupants, les taxis, les transports collectifs et les véhicules électriques (vignette Crit’Air 0). En cas d’infraction – si vous utilisez cette file alors que vous êtes seul au volant –, vous êtes susceptible de recevoir une amende de 135 euros (90 euros si payée sur place).
Le succès des applications mobiles
Le succès à long terme du covoiturage suit celui des applications mobiles spécialisées. Et elles sont de plus en plus nombreuses. BlaBlaCar – la plus connue d’entre elles et valorisée à 1,6 milliard d’euros – a vu arriver sur ce segment de nombreux challengers : Karos, Citygo, Pip Pip Yalah, Klaxit, Mobicoop, Colis… Bon signe pour les professionnels de la route et de l’autoroute, ces entreprises ont le vent en poupe : en avril dernier, BlaBlaCar a levé 97 millions d’euros pour préparer son entrée en bourse en 2022. La crise de la Covid-19 a évidemment mis un frein aux activités de ces sociétés, mais celle-ci misent sur un rebond immédiat, grâce à une clientèle de plus en plus jeune. « En France, les volumes en sont à peu près la moitié de 2019 à la même période, alors qu’on est quand même en confinement, constate Nicolas Brusson, l’un des deux fondateurs de BlaBlaCar. Il y a une population frustrée qui veut voyager, plus jeune que la moyenne, comme le sont souvent nos membres. Il y aura une accélération très rapide en France et dans les pays européens, c’est très clair. »
Sur le terrain, cet acteur du covoiturage est devenu incontournable. Des partenariats se sont donc noués avec les opérateurs autoroutiers pour faciliter les opérations. À Carpentras (Vaucluse), Nogent le Rotrou (Eure-et-Loir) et Cahors (Lot), BlaBlaCar et Vinci Autoroutes ont uni leurs stratégies multimodales pour relier les gares routières aux autoroutes les plus proches, grâce à des navettes communes baptisées Ulys.
Alors le covoiturage, utopie ou symbole bien réel de la mobilité de demain ? Si certains automobilistes resteront éternellement réfractaires au partage ou à mixer leurs modes de transport, nombreux sont ceux qui sautent le pas. Avant le début de la pandémie, début 2020, tous les signaux étaient au vert : BlaBlaCar affichait « 135000 passagers par jour en France sur du long trajet » avec une augmentation de 300% de ses lignes depuis 2018, 1,6 million de tonnes de CO2 évitées par an (-6,4 millions d’ici 2023). Nul doute qu’une fois passée la crise sanitaire, la tendance reprendra de plus belle.
Le covoiturage s’impose donc comme l’une des solutions efficaces pour décongestionner les grandes agglomérations et faire chuter les émissions de gaz à effet de serre. Deux des objectifs des pouvoirs publics pour le secteur des transports. Deux objectifs qui nécessiteront à la fois des moyens financiers et des changements dans nos comportements individuels.